D’abord sous-représentées puis mal représentées dans les productions cinématographiques et télévisuelles, les minorités afro-américaines inscrivent un débat encore actuel concernant leur place dans l’industrie hollywoodienne, illustrant une fracture sociale encore brûlante près de cinquante ans après la Black Pride. Depuis quelques décennies, l’hégémonie blanche du système productif hollywoodien a progressivement accru la visibilité de figures colorées dans ses productions. Néanmoins, elles sont totalement absentes des grilles de nominés des Oscars cette année, cérémonie pourtant présidée depuis deux ans par une femme afro-américaine, Cheryl Boone Isaacs, et animée par l’humoriste noir Chris Rock.
« Sur 6 000 membres, environ 93% sont blancs, 70% sont des hommes et leur âge moyen est de 63 ans. »
Cette déclaration de Darnell Hunt, directeur du centre d’études afro-américaines de l’université UCLA, met l’accent sur une homogénéité discriminante au sein de l’a=Académie, à travers trois points importants reflétant l’état actuel d’Hollywood : la vieillesse qui échappe à un renouvellement de ses personnalités, le sexisme devenu un gage économique qui limite la présence de femmes notamment en production et réalisation. Enfin, le pourcentage le plus significatif reste l’écrasante majorité de membres blancs, qui met en exergue la perpétuelle disjonction raciale dans une industrie reproductrice d’inégalités.
Regard historico-ethnique sur la cérémonie :
Depuis la création de la cérémonie en 1929, le nombre d’Oscars décernés à des personnalités afro-américaines est de seulement 36 sur un total de 2947 vainqueurs. Alors qu’à cette époque la société américaine est toujours fondamentalement ancrée dans une ségrégation raciale justifiée par la doctrine du « separate but equal », les Oscars offrent en 1940 la première statuette à une actrice noire, Hattie McDaniel, pour un second rôle par ailleurs stéréotypé : celui d’une servante, d’une « mammy » dans Autant en Emporte le Vent. Cet évènement est suivi par le sacre de Syndey Poitier, première personnalité noire à recevoir un Oscar dans un premier rôle en 1963 pour The Defient Ones.
Depuis les années 1960 jusqu’à Halle Berry et Denzel Washington en 2002, les personnalités afro-américaines n’ont eu que très peu de place parmi les récompensés. La catégorie qui constate le plus de statuettes décernées à des artistes noirs reste la musique, empiriquement associée à la culture du jazz, soul et la tendance urbaine ayant séduite le public blanc. En revanche, le contraste est majeur avec la catégorie réalisation. En effet, Steve McQueen est sacré en 2014 pour 12 Years a Slave et devient seulement le premier réalisateur noir à obtenir un premier prix dans cette catégorie, indiquant un manque de confiance et souvent de moyens donnés aux réalisateurs afro-américains et donc, un manque de récompense. Ces données mettent en lumière l’absence de minorités dans tous les panels de l’industrie hollywoodienne : de la production aux acteurs en passant par l’équipe technique. « C’est une industrie de blancs » déclare l’humoriste Chris Rock, et l’annonce des nominés à la prochaine cérémonie des Oscars n’échappe pas à la règle puisque vingt nominés dans les quatre catégories principales sont blancs.
Du boycott au racisme anti-blanc
Après l’annonce des nominés en janvier dernier, le hashtag #OscarsSoWhite est resté quelques jours de suite en favoris sur la plateforme Twitter, témoignant d’un caractère viral sur une base de dénonciation. Jada Pinkett Smith, Spike Lee, Will Smith ou encore le rappeur Snoop Dogg décident de boycotter la cérémonie et dénoncent violemment le racisme hollywoodien par le biais des médias. Le débat est amorcé par l’actrice Charlotte Rempling, nominée dans la catégorie Meilleure Actrice pour Mustang, qui reproche quant à elle un racisme anti-blanc sur l’antenne d’Europe 1 :
« C’est dans l’autre sens, c’est raciste, raciste pour les Blancs. On ne peut jamais savoir si c’est vraiment le cas, mais peut-être les acteurs noirs ne méritaient-ils pas d’être dans la dernière ligne droite ».
Elle souligne par ailleurs que le débat est strictement inutile, puisque sans fin.
Un quota ethnique aux Oscars ?
C’est la proposition faite au LA Times par l’acteur Denzel Washington, oscarisé en 2002 :
« Si le pays a 12% de Noirs, l’Académie doit avoir 12% de Noirs. Si la nation est à 15% d’origine hispanique, l’Académie doit avoir 15% de membres d’origine hispanique. »
Ce débat fait écho à la mise en place des discriminations positives ou Affirmative Action dans les médias sous l’égide du président Johnson dans les années 70. Le quota ethnique est alors critiqué par le sociologue américain Nathan Glazer qui affirme que le color-blindness n’est en aucun cas respecté dans un cadre de discrimination positive et que les clivages liés à l’intégration sont les prémices d’une guerre civile culturelle. Avec ou sans quotas, cette 88ème cérémonie des Oscars témoigne encore d’une hégémonie blanche au sein de l’industrie, qui donne d’office confiance à la production, elle tout aussi blanche, dans une optique de rentabilité économique et de satisfaction des masses. Comme le souligne le Chicago Tribune, le cinéma doit donner davantage de rôles de qualité et forts de sens aux acteurs issus de minorités, souvent cantonnés à des rôles d’asservis. C’est dorénavant la télévision qui prend le relai du combat avec des récompenses colorées aux Emmy Awards, mettant en lumière la production de séries qui traitent de la complexité raciale sous un spectre neuf : The Wire, Selma, Empire ou encore How to get away with a murder.
Sources :
Damien Roulette. « Face à la diversité, le pragmatisme hollywoodien » in Radio Télévision Belge Francophone. 27 octobre 2015. URL : https://www.rtbf.be/info/dossier/dossier-diversite/detail_face-a-la-diversite-le-pragmatisme-hollywoodien?id=9119270 (consulté le 04/02/2016)
Benoît Zagdoun. « Infographie : Hollywood est-il raciste ? » in France TV Info. Le 17 Janvier 2016. URL : http://www.francetvinfo.fr/en-image/infographies-hollywood-est-il-raciste_1273251.html (consulté le 04/02/2016)
Robert C. Liebeman. « Chapter 9: Toward a Color-Blind Future: Varieties of Color Blindness and the Future of Race Policy » Shaping Race Policy: The United States in Comparative Perspective. Princeton University Press, 2005. Pp202-225.