Youtube est « la première chaîne de télévision en France […] et un acteur incontournable du paysage audiovisuel ». Dans un entretien accordé à l’AFP, Justine Ryst, directrice générale de la plateforme, revendique sa légitimité. Une place contestée qui interroge la place du streaming dans l’industrie audiovisuelle. Analyse du phénomène.

Justine Ryst, directeur général de YouTube, posant à côté du logo de la plateforme.
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Justine Ryst, directeur général de YouTube, posant à côté du logo de la plateforme (source : Ouest-France)

Une place croissante du streaming

Depuis la pandémie du COVID-19, les Français ont profondément changé leurs habitudes de consommation de contenu audiovisuel. Entre 2020 et 2021, la fermeture des salles de cinéma a entraîné une adoption massive des plateformes de streaming. Environ 35% des abonnements à des plateformes comme Netflix ou encore Disney+ ont été souscrits pendant cette période. Même après la levée des différentes restrictions sanitaires, cette tendance s’est confirmée. Parmi ces nouveaux abonnés, 41% déclarent se rendre moins au cinéma, tandis que 12% ont déserté les salles. Le confort et l’accessibilité des plateformes s’imposent comme des arguments de poids. Une mutation durable est donc en train de s’installer chez les consommateurs.

Entre 2020 et 2021, la fermeture des salles de cinéma a entraîné une adoption massive des plateformes de streaming par les consommateurs. Environ 35% des abonnements à des plateformes comme Netflix ou encore Disney+ ont été souscrits pendant cette période.

Parmi ces nouveaux abonnés, 41% déclarent se rendre moins au cinéma, tandis que 12% ont déserté les salles

Il faut dire que pour les publics, ces plateformes comportent de nombreux avantages : une accessibilité 24h/24, un fonctionnement sans publicité, et un coût relativement abordable. De plus, l’intérêt croissant pour les séries amplifie cette évolution. Aujourd’hui, 48 % des abonnés privilégient les séries dans leur consommation, contre seulement 4 % qui s’y intéressent exclusivement.

Ces changements remettent donc en question le modèle traditionnel des salles de cinéma. Thierry Frémaux, acteur français, parle de « cohabitation » entre le grand écran et le streaming. Il devient alors évident que l’industrie doit s’adapter pour rester compétitives. La montée en puissance des plateformes comme Twitch redéfinit les usages numériques et enrichit l’écosystème médiatique. Initialement dédiée au streaming de jeux vidéo, Twitch s’est diversifié. On y retrouve désormais des discussions interactives en temps réel, incluant du contenu journalistique et culturel. Des initiatives telles que Playing Games with Politicians du Washington Post ou les lives de Hasan Piker (HasanAbi) démontrent comment une audience jeune et connectée peut être captivée à travers des formats innovants. Face à une concurrence numérique qui ne cesse de croître, s’adapter devient une nécessité.

Le streaming : une nouvelle économie de l’audiovisuel

Avec le cinéma, le spectateur a une liberté temporelle partielle qui réside dans la possibilité de choisir sa séance. En revanche, le spectateur est contraint de se déplacer au cinéma. De plus, l’entrée est payante.

Ce phénomène trouve son opposé à la télévision. En effet, le téléspectateur s’affranchit de la contrainte spatiale en important chez lui le programme qu’il souhaite regarder. Cela se fait au détriment de son temps. La télévision contraint son public à se tenir disponible à un moment défini et unique. Le journal télévisé prévu pour 20h apparaît alors comme une injonction implicite à allumer sa télévision pour se tenir informé. Il en va de même avec les films et séries télévisées. À l’inverse du cinéma, la télévision ne fait pas payer ses spectateurs. 

En 2001, le président-directeur général du groupe TF1, Patrick Le Lay, résume ce modèle économique. Il parle alors de vendre du « temps de cerveau humain disponible ». La chaîne de télévision permet ainsi de capter l’attention d’un public pour la vendre aux annonceurs. Ainsi, l’accès aux contenus audiovisuels gratuits est possible, tout en générant des revenus publicitaires importants. Ainsi, nous pouvons cibler les publics en fonction des programmes et proposer une sociologie des téléspectateurs.

Une stratégie marketing de l’interactivité

Face à la promesse d’une autonomie totale, les plateformes de streaming utilisent les réseaux sociaux. Cela créé de l’attente autour des sorties importantes. Cette stratégie marketing se base sur la publication d’extraits, de teasers… Avant la sortie de son documentaire Kaizen, le youtubeur Inoxtag a gardé le secret de la réussite de son ascension. De plus, des vidéos de préparation ainsi que des annonces ont tenu en haleine les internautes pendant une année entière. Sa diffusion en avant première au cinéma, avec une longue liste d’influenceurs présents, a renforcé le prestige autour du documentaire. Finalement, le documentaire a été publié sur Youtube le 14 septembre. Deux mois plus tard, il a déjà cumulé 38 millions de vues sur la plateforme.

En 2001, le président-directeur général du groupe TF1, Patrick Le Lay, résume ce modèle économique. Il parle alors de vendre du « temps de cerveau humain disponible ».

Conscient de l’enjeu économique, le steamer Hasan Piker (HasanAbi sur Twitch) engage son audience sur des sujets politiques. Il attire ainsi 2,6 millions d’abonnés, générant des revenus de 65 000 $/mois environ, d’après Camille Coirault. Ainsi les internautes participent au succès des plateformes de streaming. En tant que producteur, ils participent à la couverture médiatique qui entoure une publication. Cette interaction en continu entre les spectateurs et les créateurs a bouleversé la diffusion d’informations. 

La valeur marchande d’un contenu audiovisuel dépend de la capacité des acteurs économiques à circonscrire sa consommation dans un temps et un espace donné. En effet, la question de la marge de manœuvre laissée aux publics est partie prenant de la valorisation marchande des contenus produits et diffusés. Ainsi l’évolution des modèles économiques audiovisuels est reliée à divers enjeux (économiques, sociaux…).

TV, Cinéma, Plateformes de Streaming : Entre Cohabitation et Remplacement

L’évolution des habitudes de consommation des contenus audiovisuels redessine les frontières entre médias traditionnels, cinéma et plateformes de streaming. Si la coexistence entre ces formats se renforce d’une part, on peut néanmoins observer d’autre part, une lutte pour le gain de temps de cerveau disponible.

Dans un paysage audiovisuel en constante évolution, les frontières entre télévision et plateformes de streaming deviennent de plus en plus perméables, les collaborations et synergies entre ces deux mondes pourtant initialement opposés, se voient de plus en plus courantes et permettent de redéfinir la manière dont les contenus sont produits, distribués et consommés.

En France, des groupes comme TF1, France Télévisions et BFMTV investissent dans les plateformes numériques pour toucher une audience jeune et connectée. En intégrant Twitch à leurs stratégies, ils explorent des formats novateurs. Cette démarche permet de rapprocher des institutions médiatiques traditionnelles d’un public habitué à des interactions en temps réel, le tout, dans un contexte bien plus informel et détendu.

YouTube devient également un terrain fertile pour les chaînes historiques. Arte, entre autres, y développe une chaîne dédiée dans le prolongement de l’expérience télévisuelle, mais en offrant des contenus exclusifs s’inscrivant dans les formats « type » de la plateforme. Certaines figures emblématiques de la télévision comme la journaliste Elise Lucet, s’approprient également à titre personnel la plateforme. Cette dernière a par exemple, récemment inauguré son format « derush » en invitant le célèbre créateur de contenus Squeezie. Samuel Etienne, quant à lui, opte pour un parcours plus proche de la reconversion. En effet, sa chaîne Twitch vient de passer le symbolique cap du million de followers.

Cette cohabitation s’opère aussi dans l’autre sens, des figures majeures de l’Internet Français comme Squeezie ou Hugo Décrypte apparaissent également sur des chaînes télévisions. Des contenus marquants disponibles sur les plateformes comme le documentaire « Kaizen » d’Inoxtag initialement diffusé sur YouTube ont trouvé un autre public à la télévision. Ces initiatives montrent que la télévision et les plateformes ne sont pas concurrentes, mais complémentaires.

Télévision et streaming : des limites floues

L’intégration technologique renforce également cette convergence. YouTube est désormais accessible directement sur les téléviseurs, grâce à des boutons dédiés sur certaines télécommandes. Cette évolution rapproche encore davantage les plateformes de streaming des usages télévisuels traditionnels. Par ailleurs, les formats évoluent pour s’adapter à ce nouveau contexte : vidéos plus longues, qualité optimisée pour les grands écrans, et même une diffusion simultanée de certains contenus sur plusieurs supports. D’un autre côté, cette cohabitation peut, à bien des égards, prendre le visage d’un remplacement.

Avec l’essor des séries et la montée des plateformes de streaming et de vidéos, les salles obscures peinent à rivaliser. Les spectateurs, attirés par le confort du visionnage à domicile et la flexibilité des plateformes, désertent les cinémas

YouTube et Netflix redéfinissent entre autres le rôle de la télévision. Désormais, cet écran devient un support secondaire pour des contenus d’origine numérique. Avec l’introduction de formats longs et de qualité cinématographique, YouTube s’invite dans les salons, et Netflix explore de nouveaux horizons, comme la diffusion d’événements en direct. Le match de boxe entre Mike Tyson et l’influenceur Jack Paul, prévu sur Netflix, illustre cette tendance, rivalisant avec les grandes audiences télévisées.

YouTube et Netflix redéfinissent entre autres le rôle de la télévision.

Les plateformes ne séduisent pas seulement les jeunes, mais aussi un public intergénérationnel. En adaptant leurs contenus à tous les âges, elles rassemblent les familles et s’imposent petit à petit comme un mode de consommation audiovisuel dominant.

Auteurs : Mehdi Moulins-Kasdali, Elliot Pietrapiana, Marius Laversanne.

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