Depuis les années 1970 et la blaxploitation, les femmes de couleur occupent une place marginale au cinéma et à la télévision. De la racaille de banlieue à la femme de ménage, les actrices racisées peinent à accéder à des rôles qui ne se basent pas seulement sur leur couleur de peau. Entre polémiques et progrès, tour d’horizon de la lente et difficile représentation de ces femmes dans l’audiovisuel français et international.
Les femmes noires dans le cinéma américain : entre émancipation et omission
Quel est le point commun entre Le Majordome, 12 Years a Slave, Get Out et Black Panther ? Ces succès au box-office ont tous été réalisés par des Afro-américains et ils ont tous pour ambition de représenter leur communauté.
Salués par la critique et récompensés dans de nombreux festivals, ces films sont en réalité le fruit d’un héritage bâti il y a cinquante ans aux États-Unis. Retour vers le passé…
Nous sommes dans les années 1970, en Amérique du Nord, au cœur d’une période bien particulière du cinéma américain : la blaxploitation. Agacés de devoir supporter l’image péjorative des Noirs renvoyée par les films Hollywoodiens, une poignée de réalisateurs afro-américains décident de créer leurs propres films, avec leur propre vision des choses. Fini les personnages noirs esclaves, danseurs ou violeurs, à présent les criminels sont blancs !
La blaxploitation est la première représentation des femmes noires au cinéma et qui plus est, dans des rôles bien musclés. L’icône féminine du mouvement est l’actrice Pam Grier à l’affiche de Coffy, la panthère noire de Harlem en 1973 et Foxy Brown en 1974, tous deux réalisés par Jack Hill. Petite originalité, ici c’est un réalisateur blanc qui offre à Pam Grier ces deux rôles quelques peu révolutionnaires. Dans les deux films, Pam Grier interprète des rôles de femmes fortes, combattantes, luttant contre les trafiquants de drogue blancs. À la fois impitoyable et séductrice, l’héroïne à la coupe afro est le symbole d’une période qui libère les femmes noires en les transformant en Wonder Woman afro-américaine.
Mais hélas parfois faire un pas en avant c’est faire deux pas en arrière. Si la blaxploitation est parvenu à changer l’image des Afro-américains au cinéma, le septième art reste « so white ». N’avous-nous rien appris de Pam Grier ? Apparemment Hollywood a la mémoire courte puisqu’en 2016 l’une des grandes figures de la blaxploitation, Spike Lee, ne retrouve pas la diversité des personnages noirs de l’époque dans les salles obscures du 21ième siècle. Pour protester, il décide carrément de boycotter THE cérémonie : les Oscars. Il juge le catalogue sélectionné « trop blanc » et à raison puisque cette année-là on pouvait remarquer l’absence d’acteur·trice.s noir·e·s parmi les nommés. Peut-être parce que l’académie des Oscars est composée à 94 % de Blancs…
Bon, les acteur·trice·s afro-américain·e·s ne remportent pas souvent les plus hautes récompenses aux Oscars, mais Octavia Spencer a reçu l’Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle pour La couleur des sentiments en 2012. Une belle reconnaissance pour un film qui souhaite dénoncer la condition des domestiques afro-américain·e·s dans le Mississippi raciste des années 1960. Pourtant, il semblerait que le film ne remplisse pas vraiment sa mission, qu’il fasse même le contraire… Et c’est une autre actrice du film qui le dit : Viola Davis. Dans une interview pour le New York Times en septembre 2018, l’actrice afro-américaine vue récemment dans la série How to get away with murder révèle regretter avoir joué dans le long-métrage.
Succès au box-office avec plus de 160 millions de dollars de recette aux Etats-Unis, le film est présenté par Viola Davis comme ne montrant pas les réelles expériences des domestiques noires de l’époque. Elle juge l’histoire trop lisse, éludant la colère profonde de ces femmes de l’ombre pour leurs employeuses blanches. « Je connais Aibileen. Je connais Minny. Elles sont ma grand-mère. Elles sont ma mère. Et ce dont je suis sûre, c’est que si on veut faire un film dans lequel le postulat principal est de comprendre ce que ça faisait de travailler pour des Blancs et d’élever des enfants en 1963, j’ai envie d’entendre ce que ça faisait vraiment. Je n’ai jamais entendu ça au cours de ce film. »
L’interview complète du New York Times
Les stéréotypes de femmes racisées dans le cinéma français
La situation aux Etats-Unis pour les actrices racisées est complexe, les personnages noirs étant encore souvent relégués à des seconds rôles. Mais qu’en est-il en France ? Hélas, sur notre territoire la situation n’est pas bien meilleure. Les femmes racisées sont la plupart du temps assignées au statut de quota ou de touche exotique dans le cinéma français. Cette triste tendance ne fait que renforcer les clichés en attribuant à ces femmes des rôles stéréotypés qui manquent cruellement de diversité. En totale déconnexion avec la réalité, les femmes de couleur peinent à accéder à des rôles modernes, les mettant dans la lumière.
Peut-être avez-vous apprécié ses films, cela a aussi pu être notre cas, et trouverez-vous disproportionné de les blâmer ainsi. Cependant, ce n’est pas leur qualité que nous dénonçons, plutôt le fait que même si ces personnages existent dans la réalité, leur représentation disproportionnée au cinéma empêche aux actrices françaises racisées d’espérer accéder à des rôles plus diversifiés, et plus valorisant.
Plus d’exemples sur lallab.org
Et si on regardait au-delà de la couleur de peau ?
Haut les cœurs ! Face au triste constat établi dans cet article, ne nous résignons pas. La représentation des femmes racisées dans l’audiovisuel a évolué. Et en plus d’avoir évolué, certains films et séries occidentales tendent à mettre en lumière des personnages de femmes musulmanes fortes et modernes. En voici quelques exemples.
La série norvégienne Skam met le personnage de Sana, lycéenne musulmane voilée, à l’honneur dans toute la saison 4. On explore le quotidien de la jeune fille entre lycée, relations amoureuse et religion.
Aux Etats-Unis, c’est la série d’espionnage Quantico qui offre à une actrice libanaise un double rôle très moderne. En incarnant les sœurs jumelles Nimah et Raina Amin de façon positive, on s’éloigne du cliché récurrent du terroriste musulman venu répandre la peur sur le sol américain.
Quitte à avoir une vision moderne des personnages racisées, autant le faire jusqu’au bout ! Tel est le discours de la série US The Bold Type où une photographe iranienne se définit comme « musulmane, lesbienne et fière ».https://giphy.com/embed/xUOwFS19rBRQ6LGHoA
Ce personnage d’Adena El-Amin aura un impact important dans la représentation visuelle des femmes musulmanes LGBTQI+.
« J’ai choisi de porter le hijab. Il ne m’oppresse pas, mais me libère des attentes de la société par rapport à ce à quoi devrait ressembler une femme. »
Avec des héroïnes complexes, qui cherchent à s’éloigner des stéréotypes habituels, on assiste à une évolution des mentalités que l’on ne peut qu’encourager !
A voir aussi : l’interview d’Amandine Gay, « Ouvrir la voix »