Dans le cadre de la semaine « Parlons règles » organisé par le service médical et social (SIMPPS) du campus du Mirail de l’Université Toulouse Jean-Jaurès, s’est tenu un atelier d’art thérapie féministe réservé aux personnes menstruées. Entre tabous et traumatismes, cinq femmes ont partagé leur expérience. Reportage.
“Nous sommes les Femmes, nous sommes seulement la moitié de l’humanité mais nous donnons naissance au monde entier. Personne ne devrait être ignorant de nos points de vue et de nos voix.” – Jane Campion. L’art thérapie féministe, j’en ai déjà entendu parler mais de loin, par des femmes qui ont pu vivre des traumas, ou par des personnes pour qui la thérapie chez un psy n’a pas fonctionné. Je suis tombée dessus par hasard, et j’ai décidé d’essayer. Cinq femmes sont présentes à cet atelier. Animé par Ceza, elle se présente comme artiste féministe, et consacre son métier à des échanges pour ouvrir la parole aux femmes par le biais de l’art sur des sujets tels que les menstruations, comme aujourd’hui. Fatimah est alternante au SIMPPS pour quelques mois et a une formation d’assistante sociale spécialisée dans les violences sexuelles et/ou conjugales. Salem est la cadette de notre groupe, à la sortie de l’adolescence elle est rongée par l’endométriose et vit dans la peur du moment où ses règles vont arriver. Chrystelle de son côté à 36 ans est la doyenne, et semble découvrir l’existence du clitoris et la forme d’un vagin. Puis il y a moi, étant très intéressée par la diffusion du savoir autour des règles, qui me suis lancée à découvrir l’art thérapie féministe. Nous sommes cinq personnes très différentes, qui venons de nous rencontrer, pourtant nous sommes liées par le fait d’avoir un corps qui se prépare constamment à créer un nouvel humain. Et on se rend rapidement compte ici, que toute notre vie on a internalisé une violence inouïe envers notre propre corps.
The first rule of Fight Club is : you do not talk about Fight Club.
Si cet atelier est réservé aux personnes menstruées c’est que pour comprendre la réalité physique, morale et sociétale du principe d’avoir ses règles, il n’y a pas d’autre moyen que de le vivre. Parce que la première règle du tabous autour des menstruations c’est qu’on ne parle pas des menstruations et de leurs cycles. Chrystelle a trouvé un schéma scientifique du vagin parmi les livres disponibles, elle n’en avait jamais vu. En très grand, elle redessine le schéma et nous parle beaucoup de sa vie. Salem dessine aussi en laissant sortir la colère du traumatisme que représentent ses règles et l’avis des personnes de sa famille. Avec elle on met à plat le tabou de la douleur menstruelle : le mythe du Spasfon, les « mais c’est normal d’avoir mal », la minimisation de la puissance ressentie sur de longues périodes. L’arrivée parfois violente et déconcertante des premières règles, la peur qu’elles engendrent, les stigmates qu’on se prend à la face depuis l’enfance, et plus encore, tous ces sujets sont posés sur la table. Mettre les tabous sous le feu des projecteurs, c’est casser la première règle, c’est se permettre de se décomplexer. Sans chercher à ce que ce soit joli ou interprétable, on crée notre expérience de femme menstruée dans un monde patriarcal. En mettant en forme cette concrétisation des tabous, on ne fait pas uniquement un acte de rébellion, on se soigne aussi un peu. Salem est arrivée en se sentant si seule dans sa douleur et mal dans son corps, elle finira par créer une œuvre alliant collage et dessin, illustrant la connexion qu’elle ressent avec les femmes du monde entier, toutes reliées par cette capacité à régénérer son appareil génital en boucle. Chrystelle repart avec son schéma immense et multicolore du vagin et de l’utérus. Fatimah ne cherche pas à créer quelque chose d’uni, elle teste les textures et le matériel devant elle, elle se laisse aller au désordre. Personnellement, je dessine un arbre immense, berceau de la vie, qui saigne des paillettes comme les femmes qui saignent et qui en souffrent, avec un fond de crépuscule qui rappelle la notion de cycle, qui finit bien par s’arrêter un jour. Comme les tabous qui finiront bien un jour par s’estomper.
Manon Bernard