Quelle épée choisir pour un film narrant l’histoire d’un chevalier au XIIe siècle ? Y avait-il des trottoirs au XVIIIe siècle ? A Toulouse de jeunes doctorants en histoire s’engagent à mettre en relation les métiers du cinéma et les métiers de l’histoire afin de créer des films historiques au sein de leur association Saga Film. Nous sommes allés à la rencontre de Clément Juarez, scénariste, réalisateur et historien, président de l’association Saga Film.
Vrai ou faux Connaissez-vous vraiment l’histoire de Toulouse ?
– A l’époque moderne, Toulouse était connu sous le nom de Tolosa ? **Vrai, Tolosa est le nom de la civitas du peuple gaulois des Volques Tectosages autour du IIIe siècle av. J.C. Elle devient une colonie romaine après la conquête de la Narbonnaise à la fin du IIe siècle av.J.C.
– Toulouse était un important centre d’apprentissage au Moyen Âge, abritant notamment l’Université de Toulouse fondée au XIIIe siècle. **Vrai, l’université de Toulouse fondée en 1229 par le comte de Toulouse Raymond VII à la suite du traité de Meaux et l’une des plus anciennes et des plus importantes universités médiévales françaises.
– La place du Capitole, au cœur de Toulouse, a été aménagée et embellie au XVIIIe siècle, devenant un symbole de la ville. **Vrai, la place du Capitole est aménagée et embellie au XVIIIe siècle. Les capitouls souhaitent magnifier leur pouvoir par la mise en valeur de leur maison commune, le Capitole. La façade monumentale est élevée au même moment par les meilleurs artistes toulousains de l’époque. La place du Capitole devient alors le cœur de la cité : place de marché, place de fêtes, mais aussi place de la guillotine pendant la Révolution française.
Entre faux-raccord, identité historique biaisée ou falsifiée, les historiens se soucient du cinéma lorsqu’il évoque l’histoire. Clément Juarez rappelle que nombreux sont les reportages, documentaires ou encore film d’époque ayant contrefait la réalité historique afin de répondre à une norme répondant à un idéal esthétique. “La télévision entretient un rapport à l’histoire allant parfois à l’encontre de l’avis de l’historien” nous explique Clément. L’archive alors considérée comme trop austère et le commentaire historique comme trop scolaire au regard des critères d’audimat, “la voix de l’historien est donc laissée pour la fiction, du moins une fiction qui ne s’assume pas comme telle mais se pare des attributs du documentaire”. Pour autant, l’histoire est “remplie de trou” comme le rappelle Clément Juarez, pour combler cela la fiction permet d’étayer le documentaire. Le documentaire historique ne se confond en aucune manière avec la fiction historique, qui se revendique comme œuvre de pure création. Le documentaire historique et la fiction historique sont deux approches distinctes mais complémentaires qui captivent le public.
“Qu’elle est le regard des historiens sur le “docufiction” à la télévision française ?”
“Le documentaire historique cherche à restituer les événements du passé de manière fidèle, utilisant des sources primaires ainsi que des témoignages pour éclairer le spectateur sur la réalité historique d’une époque. Cependant, il apparaît clairement que certaine production de documentaire historique cherche à privilégier l’esthétique du documentaire plutôt que la réalité historique. Il est clair que nous ne savons pas tout de l’histoire, c’est un des points d’ordre des historiens. Saga Film a notamment été interpellé à l’occasion d’un documentaire sur Toulouse à l’époque médiévale, cependant, il est clairement apparu que la parole des historiens dans la réalisation de ce métrage n’est pas toujours entendue pour des soucis d’esthétisme cinématographiste. C’est un des enjeux pour lesquels nous souhaitons travailler chez Saga Film. La télévision française, tout en produisant un nombre considérable de documentaires historiques, peut parfois négliger l’importance de donner la parole aux historiens. Cela conduit à une simplification excessive, à des interprétations erronées ou à une présentation biaisée des faits historiques. D’un autre côté, il est important de réaliser, lorsque l’on réalise un documentaire historique, que la fiction fait aussi partie du processus de création. Cela offre une liberté créative qui permet d’explorer des faits historiques tout en introduisant des éléments imaginaires. Cette créativité ne doit pas compromettre l’authenticité historique, il est essentiel de trouver un équilibre entre les deux.”
“En 2024, l’association Saga Film présentera son premier documentaire historique, Occitanie, La bataille oubliée. En tant qu’historien, quel est ton objectif au sein de saga films ainsi que dans la présentation de votre documentaire ?”
“Je pense qu’il est primordial d’appuyer sur les points forts de ce documentaire tel que l’image. Les angles ne sont pas les mêmes que ceux des documentaires historiques classiques. Le point de vue de mes collègues historiens a créé le documentaire. De ce fait, les caméras choisies répondent à un idéal de qualité à la fois esthétique et historique. Pour ce film documentaire, j’ai travaillé avec un ami à moi qui travaille dans le cinéma, son point de vue nous permet aussi d’allier à la fois l’esthétisme de l’image et l’objectivité historique. Dès notions importantes sont aussi à noter dans le documentaire tel que celui de la mémoire collective. C’est une notion particulièrement importante car la mémoire joue un rôle crucial dans la construction du récit historique. Le documentaire historique est un outil précieux permettant de concilier l’histoire et la mémoire. L’accent à donc été mis sur cette ambivalence entre histoire et mémoire.”
“Penses-tu qu’un consensus est possible voir nécessaire entre la fiction et le documentaire d’histoire ?”
“Il est tout à fait possible de concevoir un consensus entre la fiction et le documentaire historique. Nous pensons avoir pu le démontrer avec notre film Occitanie, La bataille oubliée. C’est tout l’enjeu de notre association dont le but est de transmettre l’histoire à travers l’audiovisuel mais pas n’importe comment. L’association est composée en majeure partie de doctorat en histoire et amateurs de cinéma. Notre volonté est donc d’être le plus historique possible et de transmettre l’histoire à tous tout en ayant conscience que l’histoire est un champ de ruine, le but étant de mettre en avant les idées reçues sur l’histoire et de les pointer du doigt. La part de fiction est donc importante aussi, il est même nécessaire pour le déroulé du film, cependant elle est amené de telle manière que le spectateur est conscient de la part d’histoire et la part de fiction.”
A l’issue de cette rencontre il apparaît que le film historique doit être à la fois vecteur narratif et outil de recherche. Le cinéma comme instrument d’exploration du passé est un outil particulièrement intéressant. De plus, les progrès technologiques dans le domaine audiovisuel nous permettent de décliner et de conjuguer tous les éléments du corpus historique. L’enjeu du documentaire historique repose sur un souci épistémologique qui apparaît dès lors entre le savoir historique et les nécessités des médias. Le but étant de s’interroger sur ce type de média historique comme horizon d’attente par les spectateurs et qu’est ce que ces derniers retiennent de l’histoire.
Lise Gattaux