Un spectacle sous haute sécurité. Des artistes escortés. Forces de l’ordre et agents privés déployés encerclant la salle : du jamais vécu pour la Maison des Jeunes et de la Culture Roguet. Non il ne s’agit pas d’un meeting politique mais de Drag Queens animant une lecture jeune public. Récit d’une lutte contre la censure artistique.

« Ce qu’on veut défendre, c’est la liberté qu’ont les associations de programmer qui elles veulent, ce qu’elles veulent, et que cette liberté de programmation artistique est un élément fondamental de la liberté publique » déclare Bertrand Boillot, directeur de la MJC Roguet. Alors qu’en février 2023 certains lieux culturels toulousains se voient contraints d’annuler leur programmation des lectures jeune public, animées par des Drag Queens, suite à des oppositions de l’extrême droite, il est très clairement inenvisageable pour la MJC Roguet de faire de même. Pourtant prise à partie et très affectée, l’équipe de cette MJC a donc maintenu ce rendez-vous, afin de proposer ces lectures jeune public comme c’est le cas tous les ans avec d’autres conteurs. Habituellement, un des formats les plus modestes de sa programmation culturelle, la médiatisation de ces réactions par l’extrême droite a fait naître un soutien tel envers Shanna Banana et Brandy Snap, les deux artistes Drag Queens, que la présence du public a presque atteint deux fois la jauge maximale disponible en salle à la MJC Roguet. Dans l’obligation de refuser l’entrée à plus d’une centaine de personnes, l’équipe s’engage alors à proposer une seconde date pour remplacer la programmation annulée en médiathèque par la mairie de Toulouse. Face aux réticences du Conseil Départemental au sujet de cette seconde programmation, la MJC Roguet est contrainte de ne pas communiquer, ni diffuser cette seconde lecture au grand public. Défi accepté par l’équipe qui souhaite plus que jamais rester sur ses positions face aux groupuscules d’extrême droite.

Des oppositions virulentes

À l’origine de ces revendications : des mouvements communautaires et identitaires proches de l’extrême droite. Parmi eux, Reconquête, parti créé en soutien à la candidature d’Éric Zemmour aux dernières présidentielles ; Furie Française, groupuscule communautaire d’étudiants toulousains ; le Syndicat de la Famille, anciennement Manif pour tous. Ces organisations crient au scandale, à la perversité des artistes et à l’endoctrinement que subiraient les enfants auprès des Drag Queens. Les artistes et les acteurs culturels sont alors victimes de nombreuses menaces et de harcèlement LGBTphobe sur les réseaux sociaux, notamment au travers de messages privés tel que « un spectacle de trans et demain de pédophiles ? allez vous faire soigner, bande de pervers, il y aura des suites ».La polémique est alors lancée et les réactions sont vives, de part et d’autre. Malgré la violence des propos et les menaces reçues par la MJC Roguet de la part du parti Reconquête, ces employés de la culture souhaitent plus que tout soutenir la pratique artistique de Shanna Banana et Brandy Snap.

Le Drag, un art avant tout

« Artistes censuré-es, démocratie en danger ! L’ordre moral n’a pas sa place dans la culture », tel est le nom de la contre pétition lancée par Bertrand Boillot face à celle du groupe Furie Française demandant l’annulation de la programmation de ces lectures en bibliothèques municipales. Il tenait à cœur au personnel de la MJC Roguet de mettre en avant les pratiques artistiques des Drag Queens, au-delà de la communauté qu’elles pourraient représenter. Bertrand Boillot ajoute d’ailleurs : « Les artistes nous ont remercié de bien vouloir les considérer d’abord comme des artistes avant que ce soit des symboles LGBT ». L’objectif de ces lectures était de partager des histoires théâtralisées qui véhiculaient auprès des enfants la tolérance, l’acceptation de soi, de la différence ainsi que le respect des uns et des autres. Face au décalage entre l’intention artistique et les attaques contre les artistes, Shanna Banana et Brandy Snap ont confié à Bertrand Bouillot le quotidien que constituent pour elles ces attaques, en soulignant tout de même la virulence particulièrement inhabituelle de cette polémique. Nous pouvons désormais espérer que cet acte de résistance de la MJC Roguet marquera la fin d’une censure artistique à l’origine d’ignorance et d’intolérance, du moins en ce qui concerne l’art du drag.

Flore Chupin

Master Art & Com

Médiation culturelle et Études Visuelles

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