Le Centre de rééducation intensive des laryngectomisés (CRIL) du CHU de Toulouse a mis en place depuis quelques années un atelier de pratique théâtrale à destination des patients en rééducation. Rencontre avec Lucie Roth, comédienne professionnelle et animatrice de l’atelier.

Pouvez-vous nous expliquer l’origine de cet atelier de pratique théâtrale au sein du CRIL et en quoi il consiste ?

• Cet atelier existe depuis 3 ans et a été à l’initiative du CRIL, une unité au sein du CHU qui prend en charge les patients qui ont été laryngectomisés, c’est-à-dire des personnes ayant subi une ablation du larynx. C’est la deuxième année que je réalise cet atelier de théâtre amateur constitué de 5 patients, de 2 orthophonistes et d’une psychologue. Les cours ont lieu de septembre à février, le mercredi pendant 2 heures et donnent lieu à une représentation publique dans un théâtre toulousain au mois de février. 


Comment se déroulent les séances de travail tout au long de l’année ?

• En début d’année, le groupe choisit sur quel thème il aimerait travailler. L’année dernière le thème était « Maîtres et valets », on y traitait les relations de pouvoir. Lors des cours on ne fait pas d’exercices ni d’impro, on ne travaille que les scènes qu’ils vont jouer. Le travail évolue au fil de l’année : au début on fait beaucoup de lecture, on essaie de comprendre les scènes puis après on passe au plateau. En parallèle, je commence à écrire un spectacle, un liant qui lie les scènes entre elles et après on travaille le spectacle dans son entièreté.


Est-ce-que le personnel soignant vous accompagne dans l’élaboration de cet atelier ?

• Les soignants participent au même titre que les patients à cet atelier et ont un rôle égal dans la pièce. Je n’ai pas de travail en amont avec les orthophonistes ou autre personnel soignant, on monte le projet ensemble mais ils n’ont aucun regard sur mon travail de comédienne et de metteuse en scène. Je considère les patients et les soignants de la même manière car le but de cet atelier est de sortir du cadre de l’hôpital et du soin et de s’extraire de cette relation soignant-patient. Par contre, les orthophonistes peuvent se servir du travail fait en atelier lors de leurs séances personnelles avec les patients.


Comment s’est fait le contact avec les patients lors des premières séances ? Avez-vous appréhendé la communication avec eux ?

• Au début, j’étais un peu impressionnée par l’aspect physique de la maladie : c’est une maladie visible, certains patients n’ont plus de mâchoire par exemple, mais c’est passé assez rapidement. Ce qui a pris plus de temps, c’était d’oser leur dire quand je ne comprenais pas ce qu’ils disaient, je n’osais pas les faire répéter alors que c’était ce qu’il fallait faire. Feindre d’avoir saisi leurs phrases n’est pas la bonne solution et dessert l’échange. Avec le temps, je les comprends de mieux en mieux et la communication devient plus facile. 


Avez-vous dû adapter vos méthodes d’enseignement à cause de leur pathologie et de leur difficulté à articuler ?

Peut être que si j’étais professeur de chant ce serait un problème mais en ce qui concerne le théâtre, je ne pense pas que tout passe par la parole, le discours passe aussi par le geste. Ce n’est pas grave si l’on ne comprend pas tout ce qu’ils disent, tant qu’on comprend ce qu’ils jouent. C’est-à-dire que c’est l’intention qui compte. Par contre, j’ai dû m’habituer à appréhender leur fatigue car parler leur demande un très grand effort et le théâtre c’est principalement la parole. Je ne peux pas leur demander de crier par exemple, et je dois aussi m’adapter à chacun et à ce qu’ils peuvent faire ou non. 


Selon vous, qu’est ce que le théâtre peut apporter aux patients dans leur processus de soin ?

• Dans le cadre de cet atelier là, il y a déjà la désacralisation de la relation patient-soignant qui permet de sortir du cadre médical et de les mettre dans une position d’égal à égal, et cela peut nourrir leur relation en soin. Ensuite, dans mon approche artistique et dans ma manière de les guider, je les traite comme des élèves lambdas, je suis autant exigeante avec eux qu’avec n’importe quel autre élève, handicap ou pas. Ils se sentent alors comme des élèves qui apprennent le théâtre et non comme des patients qui réalisent un exercice d’orthophonie. Via les émotions et le lâcher-prise, ils arrivent quelques fois à produire des choses qu’ils n’arrivent pas à produire en soin. Ils arrivent à dépasser certaines limites qu’ils pensaient avoir lors des ateliers. Quand ils se font emporter par la scène et par ce qu’ils jouent, il y a quelque chose qui se débloque. 


Avez-vous des retours des patients sur l’atelier ? La pratique théâtrale leur a-t-elle été bénéfique ?

• C’est une pathologie qui les isole, donc l’atelier leur permet de créer du lien social, ils sont très contents de se retrouver entre eux et de porter un projet ensemble. Également le fait de se produire en public a quelque chose de gratifiant. Ils se rendent compte que malgré leur pathologie et leurs difficultés à parler, ils peuvent jouer une pièce de théâtre et se faire comprendre par un public, et cela les rend fiers. Je pense que pour eux, se mettre au défi et y arriver, c’est déjà énorme, ça les aide dans leur confiance et leur estime d’eux-mêmes. Sur scène, ce ne sont plus des malades mais des comédiens.

« Le cabaret c’est déjà ça (et c’est mieux que rien !) » par les patients et les soignants de l’atelier théâtre du CRIL Unique représentation le 9 février 2024 à 20h30 au Théâtre du Pavé

Focus sur : la dramathérapie :

Qu’est-ce-que c’est ? 


Appartenant au domaine des art-thérapies, la dramathérapie est une thérapie active qui utilise les outils du théâtre dans un processus de soin afin d’accompagner les personnes en souffrance vers un mieux-être, voire jusqu’à la guérison, à travers une pratique artistique et créative. Mêlant psychologie et art de la scène, c’est une discipline paramédicale qui nécessite d’être dispensée par un professionnel diplômé en art-thérapie et formé à la pratique théâtrale.

Pour quel public ?

Majoritairement présente au sein des instituts médicaux et des cliniques psychiatriques, la dramathérapie se développe de plus en plus dans les établissement sociaux, dans les prisons mais également dans le domaine privé au sein d’associations, d’entreprises, d’établissements scolaires ouvlors de consultations privées. Elle peut être pratiquée à tout âge et concerne toute personne se sentant en souffrance psychologique et/ou physique.

Pour quels bénéfices ?

À travers l’interprétation de scènes fictives et grâce à la mise en jeu du corps, la personne peut se soustraire à la vie quotidienne et expérimenter un espace de liberté dans lequel, libérée du mental, elle peut exprimer sa créativité et laisser place à l’émotionnel. La pratique de la dramathérapie permet notamment le développement de compétences corporelles, communicationnelles et émotionnelles par l’exploitation de ressources intérieures parfois insoupçonnées, favorisant l’image et l’estime de soi.

April Laurent

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