Connaissez-vous l’histoire du Roi Lear ? Cette œuvre tragique écrite au début du XVIIème par Shakespeare retrace l’histoire d’un roi se retirant du pouvoir en promettant de diviser le royaume entre ses trois filles, ce qui provoque une suite de péripéties malheureuses dans la monarchie de Grande Bretagne. Le 7 janvier 2015, le network américain FOX propose avec Empire une version urbaine de ce Roi Lear avec pour monarque au crépuscule de sa vie Lucious Lyon, grand patron et producteur de la maison de disque hip-hop « Empire Records ». Malade, Lucious fait une proposition similaire à ses trois fils : l’un, le plus méritant des trois à ses yeux, doit reprendre le label, quand les deux autres poursuivrons leur chemin musical dans l’ombre de l’élu. Un casting presque exclusivement afro-américain et une histoire de conquête familiale qui m’autorise à comparer la série au fameux soap des années 1980, Dynasty.
Une Black Dynasty
Une Black Dynasty donc – avec des injections de Cosby Show. En plus d’évoquer une famille tiraillée entre conquête et musique, la série produite par Daniel Lee et Danny Strong traite de plusieurs sujets sociétaux actuels qui, d’après les Inrocks, en feraient une série « bipolaire » puisqu’elle puise à la fois dans le divertissement soap et dans le domaine politique. Une véritable « révolution », d’après la journaliste des Inrocks Sarah Dahan. Une révolution, d’abord par le traitement du sujet homosexuel dans la communauté afro-américaine. Jamal, l’un des trois fils de Lucious, chanteur de Rn’B, est ouvertement gay. Sa sexualité devient alors un élément de blocage qui l’empêche fondamentalement d’accéder au « trône » et de succéder à son empereur de père Lucious, quant à lui ouvertement homophobe. Lee Daniels, lui-même noir et homosexuel, ne pouvait que souhaiter dresser en filigrane le problème de la discrimination sexuelle au sein d’une communauté ; montrer une mise en abyme du caractère discriminatoire qui, dans la série, mène à une véritable ségrégation : Jamal doit quitter l’appartement payé par son père pour vivre dans un studio en piteux état en banlieue.
Quand les Inrocks parlent de « révolution », le journaliste du Monde Séries Pierre Sérisier parle d’une copie urbaine et sans qualité des Feux de l’Amour où les brushings et permanentes auraient laissé place aux coupes afro. La comparaison fait mal.
« Trop soap, pas assez soul »
Pourtant, on pourrait se réjouir d’avoir enfin un programme qualitatif sur la culture urbaine, la culture hip-hop, qui a finalement été absente des grilles des programmes sous l’angle de la production sérielle. Si pour ma part Empire innove dans le genre du « soap » tradionnel, la surenchère marketing présente dans chaque épisode en demeure assez gênante. Articulée du point de vue de la production, la série traite déjà, par son contenu thématique, de sujets relatifs au marketing hiphop où la dimension artistique n’est finalement présente que dans les plans où Jamal et Hakeem (le cadet) chantent. En revanche, la série est réflexive puisqu’elle injecte sans arrêt des « placements de produits » de l’industrie musicale, avec la présence de célébrités hip-hop qui entrecoupent la fiction. D’une histoire de dynastie, on se retrouve quasi-littéralement dans un clip de Jay-Z ou ci-dessous, d’Alicia Keys, ce qui déroute et s’achève par une mise en second plan de la véritable créativité du show.
La représentation des personnages afro-américains dans EMPIRE
Passé ce point, il est nécessaire de se pencher sur la question de la représentation des personnages afro-américains qui nous intéresse plus amplement ici. Comme je l’ai déjà mentionné, le casting est presque entièrement afro-américain avec en tête Terrence Howard (Lucious Lyon) et Taraji P. Henson récompensée aux derniers Golden Globes pour son rôle déjanté de Cookie, ex-femme de Lucious.
Si des faits sociétaux sont justement représentés, comme la surpopulation de noirs dans les prisons ou la question de l’homosexualité auparavant évoquée, on se demande quel est le public ciblé du point de vue de l’articulation production/réception. Je m’appuierais sur nos deux supports de presse (Le Monde Séries, Les Inrocks) auxquels je rajoute un article de Vulture – webzine américain de médias. Bien que les trois supports d’analyse critique ne donnent pas tous du crédit à la série, ils évoquent néanmoins trois schémas presque similaires sur le fond concernant la question de la représentation des minorités afro-américaines et du public : la cible est blanche.
« La série donne une image des afros-américains tels que les blancs ont envie de se les représenter » Pierre Sérisier.
Le fantasme des rappeurs bling-bling est en effet un mythe commode dans la jeunesse blanche occidentale : Kanye West, Jay-Z, Kendrick Lamar et la nostalgie « old school » d’un Tupac ou d’un Notorious BIG. Si Vulture compare le succès d’Empire à celui du SuperBowl dans la communauté afro-américaine (53% de la communauté disposant d’une télévision a regardé l’épisode quatre de la saison une d’après un rapport Nielsen) le succès auprès du public blanc et latino masculin est également notable. C’est que nous explique Vulture avec une citation provocante impliquant une sorte de schizophrénie au sein de ce public blanc :
« American don’t discriminate when it comes to great TV » Vulture
Enfin, les Inrocks s’alignent sur ces propos en évoquant le fait qu’Empire est un succès typique de l’US Mainstream : c’est une série pour la masse, du divertissement grand-public, du marketing stratégique en récupérant ce qu’il y a de commercial dans le soap et du hip-hop pour assurer à la production un succès presque obligatoire.
Netlfix a récemment présenté sa future série phare de l’été 2016 : The Get Down, produite par le célèbre cinéaste de Moulin Rouge et Gatsby, Baz Luhrmann, qui retracera l’histoire du hip-hop. Sans le soap. Avec la soul ?